De l'acrostiche.
Lorsque j'ai découvert la guematria hébraïque, je m'étais dit (c'était il y a déjà un petit bout de temps) que ce n'était qu'une facette de charlatanerie de plus qu'on ajoutait aux mythes et aux croyancex. Pourtant, peu à peu, de simple processus un peu tiré par les cheveux et les poils pubiens, la guematria est devenue pour moi une véritable référence, un art de vivre, en fait, une base psychologique de mon fonctionnement, je crois. Pas forcément dans la forme : je ne connais que quelques mots isolés d'hébreu, je sais encore moins les écrire et par dessus tout je possède très peu de connaissances précises dans l'art de manipuler le Mot et le Nom comme les mathématiques de la littérature. Mais la tradition juive m'a beaucoup aidé à comprendre l'importance que j'attachais à l'écriture, aux mots, aux symboles. J'ai beau être agnostique, ce n'est pas tant la croyance que le mode de pensée que j'apprécie dans la religion juive, et s'il n'y avait problème de circoncision et de fanatisme religieux parfois trop poussé (ainsi que moult discriminations, qui, il faut bien l'avouer et ne pas se voiler la face, existent toujours dans notre société actuelle), je crois que ce serait la seule religion à laquelle j'accepterais pleinement de me convertir. Malheureusement pour moi, je suis chrétien : comme tous les autres, je porte donc AUSSI malgré moi le poids des erreurs de mes "ancêtres", à savoir les croisades, la Barthélémy et le couvert de l'holocauste. Bon, on avouera toutefois que, effectivement, Baptiste était très très jeune à l'époque, quand même...
La guematria, donc, où l'art d'approcher Dieu en calculant la littérature, se repose sur quatre principes :
- Chaque lettre de l'alphabet hébraïque représente une valeur numérique précise.
- L'addition des valeurs isolées des lettres d'un mots donne la valeur du mot. On peut également additionner les chiffres du nombres, répéter cette opération autant de fois qu'on veut.
- On peut remplacer les lettres d'un mot par autant de mot que de lettre, chaque mot associé à la lettre commençant par cette même lettres. Puis, on peut réappliquer les deuxièmes principes.
- On peut (dangereux, toutefois, car porte ouvertes a bien des aneries) substituer à un mot une lettre : lui retirer une lettre, lui en rajouter une, en changer une, toujours pour y chercher une notion symbolique. Puis réappliquer les principes précédents.
La guematria est en réalité le plus précieux et plus grand trésor de symbolisme que j'ai jamais vu de toute ma vie, et c'est bien la guématria, qui, malgré mon agnosticisme prononcé, m'a réellement poussé à croire que faute d'un Dieu "conscient et actif", il existe, de mon point de vue, forcément une force primaire, un Principe au sens propre du terme, une Loi unique, "quelque chose" qui régit tout l'univers, l'ensemble, entier... Une loi immuable et inviolable, "intransgressible", ultime, finale, "ouroboroïque", éternelle, sans commencement ni fin... Quelque chose au delà de toute conscience humaine, dont les religions ne sont que les déformations des sages qui eux, avaient compris. J'en suis intimement persuadé, et j'avouerai avec surprise que c'est la seule chose dont je parle mieux que je ne l'écrit.
Et je m'étais dit que tout cela était bien beau, mais qu'elle n'existe qu'en hébreu. Idiot que j'étais. Il y a dans la poésie un principe, un jeu d'écriture, lui aussi, ultime, car offert, toujours dédié, toujours donné sans retour, avec une destination précise, qui m'a conforté dans cette tradition hébraïque du "Nom source de tout". Voyez vous, les juifs croient énormément en l'Ecriture et la Parole. Ce n'est pas pour rien que, "Au Commencent était le Verbe"/"At principiat erat verbum". Le verbe, qui, selon Saint Augustin, est bien la parole ultime et divine de Dieu, sans commence ni fin, où toutes les syllabes de tous les temps de tous les mondes sont prononcées au même instants, infini et éternel, c'est à dire, comme écrit plus haut, qui n'a jamais commencé et ne finira jamais, et qui contient toutes les paroles pour toujours, et qui est prononcée incessamment pour jamais. Peut-être y'a-t-il un lien avec les ondes du "rayonnement fossile", qui nous on fournit l'âge de l'Univers. Peut-être y a-t-il un rapport avec les théories des Supercordes physiques, qui veut que la matière ne soit plus matière mais de nature ondulatoire, ce qui ramènerait toute chose à une musique... J'y crois infiniment, et je ne saurais sans doute jamais ce qu'il en est, mais s j'ai compris une chose, grâce à Baudelaire, c'est que c'était le rôle du Poète que de faire vibrer l'Ether jusqu'au oreilles infinies de ce Principe Divin. Toutes les Fleurs du Mal ne sont qu'un immense cris résonnant à travers l'nivers entier, modulé savamment par le maniement du langage. Baudelaire m'a appris que la Poésie était réellement le son, l'onde, qui faisait monter l'Essence des choses, à travers leur nom, dans l'immortalité.
Et parmi la poésie, il y a particulièrement une forme de poème incroyablement proche du troisième principe de la guematria : l'acrostiche. Poussée plus loin que le troisième principe, l'Acrostiche amplifie les harmoniques d'un mot en associant un vers à chacune de ses lettres, de façon à tirer la quintessence du nom lui même. Connaitre le nom, c'est connaitre la chose. Amplifier le nom, c'est le porter jusqu'aux étoiles. C'est pour cela que j'ai toujours aimé l'Acrostiche : c'est la plus belle ode à faire à un mot, mais c'est aussi la plus dangereuse. Le but de l'acrostiche est de rester là admirer, tandis qu'on puise dans nos forces l'effort nécessaire pour lancer le mot et son nom jusqu'à Dieu. J'aime l'acrostiche, je l'ai déjà dit, et je le redis : c'est le plus beau des cadeaux de la poésie. Ici, dans cette antre, résident quelques acrostiches, pour la plupart, des noms de filles que j'ai aimé, des allégories...
Et puisqu'un exemple vaut mieux qu'un long discours, en voici, une acrostiche. Je n'ai pas dormis de la Nuit, et j'ai du en faire trois versions différentes avant d'en trouver une qui me convenait. On peut dire qu'elle a occupé ma tête pendant un sacré morceau de mon temps, ce qui m'a profondément empêché de dormir... Mine de rien, c'est déjà le deuxième texte que je lui dédie en moins de 24h. Il va falloir faire attention à mes états d'âme, je pressens comme une chute Icarienne...
A la fin de la Nuit, aux miroirs de sa mort
Un rayon réfléchit les sphères du dehors.
Reste, étoile du Nord, pour veiller cette amie.
Ô, prêtresses de l'Or, déroulez le tapis
Rougi des cris des corps qui appellent la vie
Et Nadir et Zénith feront place à l'Aurore.
______________________________________________________________________________________________________
Edit de 19:22 : Encore un. Désolé, tu m'inspires, vraiment, beaucoup trop. Il y en aura sans doute d'autre. Il y a tellement de poésie dans ce mot.
Arrime tes ombres, et délie en les voiles,
Uranie la sombre qui commande aux étoiles :
Rassemble tes toiles fondues dans la pénombre.
Oublie combien pâles sont tes filles les Nombres,
Rouées de lumière devant l'Aurore brune,
Embrasée sur la Terre et guidée par la Lune !